Rosé de Provence, le marronnier idéal

C’est indiscutable, la Provence, c’est la patrie du rosé. Tenez : 157 millions de bouteilles AOC produites en 2022, soit 38% de la production nationale et 4,2% des vins rosés du monde. Qui dit mieux ? Personne. Cela étant dit, rien d’étonnant quand on y consacre 90% de la production. Mais quand même, bravo pour ce formidable dynamisme économique, et qui dépasse nos frontières, rendez-vous compte : + 500% en 15 ans sur les marchés export ! 
Mais, parce qu’il y a toujours un « mais », on est en France. Et en France, quand ça marche, il y a sardine sous gravier. Nos médias adorent ça. C’est toujours la même rengaine : ce n’est pas du bon rosé que les gens consomment (36 millions de boit-sans-soif quand même, ça fait beaucoup). Et en plus, il est cher pour la qualité. Sans compter que c’est toujours le même vin, avec son corollaire : il n’y a pas de terroir dans le rosé. À vrai dire, c’est tellement facile à produire qu’on ne s’embête pas plus que ça au pays de Cézanne. Stop. Ça suffit les bêtises. C’est plus compliqué que ça. Et pour saisir cette complexité, il faut tout prendre et cesser de ne regarder le vin qu’à travers les bouteilles qui nous plaisent.
Toutes les régions viticoles de France et du monde qui ont acquis une certaine réputation n’échappent pas à cette double demande masstige* et premium. La principale difficulté dans ce cas étant de maintenir une montée en gamme à la fois sur le volume et sur la niche. Cette double montée en gamme ne peut se faire qu’en s’appuyant sur des évolutions techniques, des outils de valorisation et une offre claire. Sur ce point, la Provence a répondu présent. N’en déplaise aux aristos de la couleur, la qualité moyenne des rosés vendus en volume a clairement augmenté depuis une dizaine d’années. Il en va de même pour les rosés haut de gamme. Faire la critique d’un produit destiné au marché de masse en lui reprochant de ne pas avoir les caractéristiques d’un produit haut de gamme, c’est au mieux une tautologie, au pire un aveu d’incompétence. 
Côté prix, le procès fait à la Provence, on peut le faire à toutes les régions viticoles du monde ayant acquis une visibilité internationale. C’est un effet de bord plus ou moins contenu dans lequel chacun est libre de positionner son offre. Avec 36 millions de consommateurs en France (marché réputé exigeant sur les prix) il semblerait que la Provence ait encore de la marge… Et puis qu’est-ce qu’un rosé cher bon sang ? 5, 10, 15, 20, 50 euros ? De quel rosé parle-t-on ? Pour quelle bourse ? Le rosé n’est pas cher à produire… Et alors ? Qu’il y ait des rosés d’un meilleur rapport qualité prix que d’autres, la belle affaire : dans quelle région viticole du monde cette question ne se pose pas ? Sempiternel marronnier d’été qui finit par nous fatiguer. 
Quant au « c’est toujours le même vin », c’est rassurant ! À tout le moins, si c’est le critère d’achat prioritaire du consommateur. Tout le monde n’est pas à la recherche d’un 100% Tibouren ou d’une vinification en amphore sans sulfite. Certains achètent l’AOP, d’autres un nom de domaine, une certification ou encore une recommandation dont le critique a généralement la charge. Pour cela, il doit être en capacité d’identifier « ce qui a été fait (quel type de vin ?), comment cela a été fait (quels choix esthétiques et techniques) et est-ce que cela fonctionne (bon vin dans sa catégorie ?) » pour reprendre la très belle définition d’un bonne critique littéraire par l’écrivaine Sophie Divry. Exprimer son ressenti, parfois avec désinvolture à l’égard des vins que l’on n’aime pas, ce n’est pas de la critique, c’est du jugement de goût et ça n’intéresse personne d’autre que soi. 
N'oublions pas le terroir dans cette histoire, encore et toujours, pour finir d’achever ce travail de sape des élites auto-proclamées : on peut faire du rosé de Provence partout, ce n’est pas un vin de terroir ! Magnifique ! Ce n’est pas vrai des vins des autres régions peut-être ? A force de goûter le haut de la pyramide, on oublie un peu trop vite la base – très large – de vins dont on aurait beaucoup de mal à reconnaître l’origine, sinon le cépage. Arrêtons de nous raconter des histoires et acceptons l’ambivalence de nos vignobles. Ce n’est pas une tare, bien au contraire.
Enfin, le meilleur pour la fin. Le rosé « c’est facile à faire ». C’est bien connu. Et c’est d’ailleurs pour cela que tous les rosés sont délicieux, hein ! Ne perdons pas de temps sur ce point. Le mieux est encore de se rapprocher des véritables acteurs de la région pour en comprendre toutes les subtilités. Pour cela, nous vous proposons des interviews de Brice Eymard directeur général du CIVP et de Olivier Colombano directeur des Vins de Bandol, suivies d’une dégustation en profondeur de 6 domaines provençaux* au sommet de leur art et de leur terroir (humour). On ne pouvait pas parler de rosé sans évoquer les autres vignobles avec un nuancier régional volontairement éclectique. Enfin, parce qu’à La Tulipe Rouge on s’intéresse à toutes les catégories de vins, parce que c’est notre métier de critique d’apprécier toutes les nuances de rosés, on vous invite à découvrir le palmarès 2024 des vins de Provence*, mais aussi des autres régions déjà en ligne depuis juillet. Il y a un pictogramme « Tchin », « Encore » ou « Tulipe » pour vous dire « ce qui a été fait », puis un commentaire pour expliquer « comment cela a été fait », et enfin une note, sur 100, qui vous dit « si cela fonctionne ». Bonne lecture. 

Olivier Borneuf, La Tulipe Rouge

*Les vins de Bandol et Les Baux de Provence sont évidemment inclus dans la sélection. 
* masstige : mass-market + prestige